L’importance du travail dans l’histoire de la pensée économique.
L’importance du travail comme cause efficiente de la valeur et du progrès économique a été évidente tout au long de l’histoire de la pensée économique. C’est pour cette raison que les théories de la valeur-travail ont toujours été très importantes :
« A l’aube du mercantilisme, est apparu l’objectif du plein emploi de John Hales qui a écrit que l’Etat devrait adopter des mesures tendant à assurer « une grande abondance » de biens ce qui exigeait l’emploi aux champs ou à la ville de toutes personnes en mesure de travailler »
William Petty a expliqué l’importance de l’emploi dans sa célèbre théorie selon laquelle, plus la population de la nation augmente, plus la richesse augmente. 1
D’autres figures importantes du Mercantilisme, comme William Temple (1671), Nicholas Barbon (1690), Josiah Child (1690), Sir Dudley North (1691), Charles Davenant (1695), John Law (1720), John Cary (1745), Josiah Tucker (1750), l’évêque Berkeley (1751) ou Malachy Posttlethwayt (1759) ont affirmé que le travail est la cause prioritaire de la richesse d’un pays. Selon eux, l’amélioration de l’emploi favorise la croissance économique et l’augmentation de l’offre monétaire a comme effet important l’augmentation de l’emploi et donc de la richesse. A leur avis, la taille de la population est un facteur décisif de la capacité économique d’un pays. Ils pensent, par ailleurs, que la majorité des mesures de politique économique peuvent s’expliquer en admettant que le plein emploi est l’objectif fondamental pour atteindre un pouvoir économique plus important.2
Plus tard, les théories d’Adam Smith, Ricardo et Marx, n’ont donné de l’importance qu’à la création de la valeur, ces théories de la valeur-travail ont dominé la pensée économique durant un siècle.
Grâce à Ricardo et Karl Marx, l’importance indiscutable de l’œuvre de Smith dans l’histoire de la pensée économique et son influence prépondérante dans le domaine de la théorie de la valeur-travail, ont été réelles jusqu’au dernier tiers du XIXème siècle.
Ses prédécesseurs écossais, Gershom Carmichael et son maître Francis Hutcheson, qui avaient, eux-même, repris la tradition aristotélicienne par l’intermédiaire de Grocio et Pufendorf, avaient anticipé l’analyse des « ciseaux marshalliens » et avaient, également, établi les éléments basiques de l’utilité et de la rareté.
Ces deux idées sont essentielles dans le traitement de la théorie de la valeur, néanmoins, Smith a eu tendance à s’éloigner de ces concepts, il a plutôt insisté sur l’importance du rôle du travail.3 La découverte de l’efficacité de la division du travail l’a, peut être, éloigné de la problématique de la valeur et l’a amené à s’intéresser exclusivement au facteur du travail.4
Si les Physiocrates ont, uniquement, mis l’accent sur la valeur de la terre, Adam Smith, lui, a jeté aux oubliettes les idées d’utilité et de rareté et a centré son approche sur la valeur-travail. Si les Physiocrates avaient mis en avant une cause originaire de la valeur : la cause matérielle, Smith en a souligné une autre, une cause efficiente.
L’erreur ne consistait pas à considérer le travail comme une cause, puisque c’en est une, mais plutôt à identifier la valeur avec le travail, et ainsi oublier l’utilité, les causes finales, la demande.
Il serait intéressant d’insister sur les différences entre ces considérations et les idées contenues dans ses Lectures, mais on ne peut nier que l’influence de La richesse des Nations a été définitive. Par la suite, c’est Ricardo qui a insisté à nouveau sur le travail.
Pour Adam Smith, il existait une double interprétation du travail : le labor contained et le labor comanded. Dans la théorie de Ricardo, c’est le travail incorporé qui est le plus important malgré son interprétation sui generis de Cassels. 5
L’interprétation, que nous assignons habituellement à Ricardo, se fonde sur la considération du travail comme travail incorporé.
Le travail utilisé pour la production des biens est réellement la base de la valeur d’échange des biens, à l’exception de ceux que l’homme ne peut transformer. « Si la quantité de travail contenue dans les marchandises régule leur valeur d’échange, chaque augmentation de la quantité de travail doit accroître la valeur de la marchandise, de même que chaque diminution doit la réduire » « La valeur d’échange des marchandises ou la règle qui détermine quel bien on doit donner en échange d’un autre, dépend presque exclusivement de la quantité de travail qui a été employée pour chacun d’eux »6
Ricardo s’incline pour le labor contained et reproche à Smith sa défense de deux théories qui s’excluent mutuellement : le travail incorporé à la marchandise et le travail obtenu en échange de la marchandise : « Les deux quantités ne sont pas égales. Le labor contained est le standard invariable qui permet d’indiquer correctement les variations des autres biens. L’autre, le labor comanded est l’objet de nombreuses fluctuations, tout comme les marchandises auxquelles il est comparé »7
Essayer d’évaluer en comparant avec le labor comanded revient à expliquer les valeurs par les prix. Ricardo, lui, tente de faire le contraire, c’est à dire, expliquer les prix par les valeurs.
Si le labor comanded est exclu, il ne reste que le labor contained pour expliquer la valeur. Ce travail ne peut s’évaluer qu’en consultant le prix du travail sur le marché. C’est une qualité objective et commune à tous les travaux : l’effort, qui rend cette évaluation possible. Le travail, c’est la sueur, les efforts musculaires et intellectuels, toil and trouble, comme disait Adam Smith, la désutilité, selon les marginalistes. Cette définition du travail est la seule véritable, celle qui doit permettre de le mesurer.8
La valeur dépend du travail incorporé, en terme de toil and trouble. Ricardo raisonne par exclusion. Il élimine, d’abord, les autres causes possibles de la valeur- utilité, rareté, marchandise, travail- et il ne reste plus que le labor contained dans sa conception de l’effort.
Ricardo considère que la valeur du travail-marchandise ou salaire naturel correspond au travail nécessaire à la fabrication des éléments qui sont indispensables pour maintenir le travailleur en vie. C’est la fameuse « loi de fer » des salaires.
Mais il existe un manque d’homogénéité entre les différentes formes de travail. Comment comparer, par exemple, une heure ou une journée d’un certain type de travail avec une heure ou une journée d’un autre travail ? Smith comme Ricardo ont essayé de traiter le problème en ayant pour argument la capitalisation antérieure à chaque emploi. La capitalisation d’un médecin est différente de celle d’un aide maçon. Cependant, la quantité de toil and trouble est plus importante pour l’aide maçon que pour le médecin. Pour toutes les théories de la valeur-travail, le problème sera identique. Même le capital est considéré comme du travail ajouté aux objets du marché lors des opérations antérieures à leur fabrication.
Karl Marx a repris la doctrine de Ricardo selon laquelle la valeur d’échange des marchandises est régulée par le travail contenu. Même si Marx distingue valeur d’usage et valeur d’échange, et qu’il affirme que la valeur d’échange est une notion imaginaire, qui a été inventée, il la mesure par le labor contained.
« Quel est l’unique point commun entre toutes les marchandises qui puisse servir à expliquer la valeur d’échange ? Si nous ne tenons pas compte de la valeur d’usage, la seule propriété commune à toutes les marchandises est celle d’être des produits du travail »9
Selon Marx, ce qui permet d’estimer la valeur d’un bien est la force-travail. En essayant de répondre aux difficultés rencontrées par Ricardo, il indique que même si les types de travail sont différents, ils ont quelque chose en commun que nous pouvons appeler : force-travail. Cette force-travail se mesure par sa durée temporelle, en heure, jour, mois, etc.
Le travail, pour Marx, est l’unique origine de toute valeur. En admettant ce postulat réducteur, le corollaire de la plus-value est inévitable. Celui qui possède de l’argent achète la force de travail et les matières premières en échange d’une quantité d’argent D1. Ce qui est acheté et transformé en marchandises, est vendu au marché. Pour cette marchandise, on reçoit une quantité d’argent D2 qui est supérieure à D1. Si c’est uniquement le travail incorporé à la marchandise qui a créé sa valeur, le profit du capitaliste (D2-D1) est injuste. Le travailleur a été exploité par le capitaliste. La valeur de la force de travail achetée par le capitaliste est inférieure à la valeur créée par cette même force de travail. L’emploi de la force de travail est ce qui produit la plus-value.
Le raisonnement de Marx réduit le principe de valeur au travail, mais, en plus, il n’entend par travail que le concept de force. La tâche du capitaliste ou chef d’entreprise, qui consiste à organiser la production d’une certaine forme, selon un certain modèle, n’est pas considérée comme un travail. On admet, comme une évidence, que le chef d’entreprise ne travaille pas. Si l’activité du capitaliste était reconnue comme étant un travail, la distinction entre les capitalistes et les travailleurs disparaîtrait. Les deux seraient des travailleurs avec des fonctions distinctes qui échangeraient leurs services pour obtenir le meilleur produit final.
Reconnaître que le capitaliste effectue un travail créateur de valeur est le principe central des théories qui expliquent que l’intérêt du capital est l’équivalent du salaire correspondant au travail réalisé par le capitaliste. Les auteurs qui ont défendu ces théories sont les économistes anglais : James Mill et McCullock, les économistes français : Courcelle-Seneuil et Cauwes et les économistes allemands : Schäffle et Wagner.
Marx, lui, considère les capitalistes comme de simples propriétaires sans aucune fonction positive de travail. Selon lui, les biens naturels ne sont pas des causes de la valeur. Par conséquent, ses théories de la plus-value et de l’exploitation du travailleur semblent logiques.
Ces deux théories ont été les armes du socialisme moderne, bien que leurs fondements scientifiques ne soient pas satisfaisants ; elles ont eu des conséquences importantes au niveau social tout au long du XIXème siècle, avec des manifestations et des résultats qui s’étendent au XXème siècle.
La conclusion habituelle des théoriciens de la plus-value, qui consiste à dire que l’intérêt du capital est une partie du produit du travail, obtenu grâce à l’exploitation de la situation de pénurie de l’ouvrier, a eu des conséquences sociales d’une grande magnitude.
Cette révolution sociale dérivée des théories de l’exploitation est née de la transformation qu’a subit la théorie économique de la valeur des biens après les travaux de Adam Smith et surtout de Ricardo.
Parmi les premiers théoriciens de l’exploitation, nous pouvons citer William Thompson en Angleterre et Sismondi en France. Prudhom, Rodbertus et Lassalle, ainsi que Marx, sont les socialistes scientifiques, que nous retiendrons pour leur travail de diffusion de cette théorie, tout au long du XIXème siècle.
Dans cette théorie, les causes sont réduites à une seule cause : la cause efficiente, le travail ; et on réduit le travail à ses manifestations matérielles.
L’importance du travail comme cause de la valeur est soulignée par tous les défenseurs de la théorie de la valeur-travail. Cependant, Peter F. Drucker raconte une anecdote révélatrice pour notre propos. Lors d’un séminaire à Cambridge, un des élèves de Keynes lui demanda pourquoi il n’existait pas une théorie de la valeur dans sa Théorie Générale. La réponse de Keynes fut catégorique « Parce que la seule théorie appropriée de la valeur est celle de la valeur-travail et qu’elle est totalement discréditée » 10
Dans le chapitre suivant, je n’essaierai pas de réviser l’opinion des penseurs qui historiquement ont souligné l’importance du travail, mais plutôt de réfléchir sur la véritable signification du fait que le travail est la cause efficiente de la valeur économique.
1 GRAMPP, “Los elementos liberales en el mercantilismo ingles”, The Quaterly Journal of Economics, LXVI, noviembre, 1952, cit. en El pensamiento económico…, P.78.
2 Id, pp. 79-80.
3 ROBERTSON, H.M, y TAYLOR, W.L, “ El enfoque de la teoria del valor en Adam Smith”, The Economic Journal, LXVII, junio 1957, Cfr. El pensamiento económico de Aristoteles a Marshall.
4 SMITH, A, Investigación sobre la naturaleza y causas de la riqueza de las naciones, Fondo de Cultura Económica, México1982, pp.3-7.
5 CASSELS, “ Nueva interpretación de la teoría del valor de Ricardo », The Quaterly Journal of Economics, XLIX mayo 1935, en El pensamiento…
6 RICARDO, D, Principios de economia politica y tributacion, Ayuso, Madrid, 1973, p. 7.
7 Id, p.8.
8 MENDEZ, José Maria, Relaciones entre economía y ética. Confederación española de Cajas de Ahorro, Madrid 1970, p.43.
9 MARX, Karl, El capital. Critica de la economia politica, 2a ed, Siglo XXI, Madrid 1975, p.47.
10 DRUCKER, “Toward the next economics”, in BELL-KRISTOL (eds), The crisis in economic theory, Basic Books, New York, 1981, p.17.
FONDEMENTS DE LA VALEUR ECONOMIQUE – FUNDAMENTOS DEL VALOR ECONÓMICO
TEXTO ORIGINAL DEL AUTOR EN EL IDIOMA ESPAÑOL EUROPEO
Capítulo III
EL TRABAJO HUMANO COMO CAUSA EFICIENTE DEL VALOR
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Importancia del trabajo en la historia del pensamiento económico
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